Les pires cauchemars d’un pilote d’avion de ligne ressemblent sans doute à cela. Une tempête de grêle et de neige s’abattant sur le moteur. De petites explosions faisant rompre les aubes de la soufflante, ce propulseur à hélice. Ou un vent de travers malmenant l’appareil en plein atterrissage… Mais pas de panique ! Nous ne sommes pas dans les airs mais au centre d’essai de General Electric, à Peebles (Ohio, États-Unis), où l’entreprise américaine met à l’épreuve ses turboréacteurs, qui équiperont ensuite les avions d’Airbus comme de Boeing.

Ici, les ingénieurs s’assurent que leurs créations répondent aux exigences des gendarmes aériens, comme la Federal Aviation Administration (FAA) aux États-Unis. Ils ne laissent rien au hasard : pour parer au « risque aviaire », ces techniciens procèdent par exemple à des tests « d’ingestion » de volatiles, en catapultant un oiseau euthanasié vers les pales en rotation d’un moteur… Ces exercices permettent aussi à GE Aerospace de sécuriser ses contrats à l’international. Ainsi, pour vérifier que ses moteurs fonctionnent jusque dans les pays du Moyen-Orient, GE les confronte à des nuages de poussière. Il faut dire que les Émirats arabes unis abritent certains très gros clients : fin 2023, la compagnie Emirates a confirmé une commande de 202 moteurs GE9X, le plus gros turboréacteur du motoriste, pour équiper ses futurs Boeing 777X.

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GE Aerospace domine les airs

Au-delà de ce centre de test, GE Aerospace revendique plus de 80 installations à travers le monde. L’importance de ce tissu industriel reflète tout d’abord la complexité des turboréacteurs. À lui seul, le modèle GEnx, entre autres installé à bord du Boeing 787 Dreamliner, comporte par exemple 1,1 million de pièces. Mais elle révèle surtout la domination de GE dans les airs : 3 vols commerciaux sur 4 sont motorisés par le groupe, ou ses coentreprises formées avec le français Safran et l’américain Pratt & Whitney.

Fort de cette suprématie, l’industriel entend même, désormais, voler de ses propres ailes. La mode n’étant plus aux conglomérats industriels, General Electric a en effet décidé de scinder ses activités dans l’énergie, le médical et l’aéronautique, et GE Aerospace a fait ses premiers pas en Bourse le 2 avril dernier, en tant que société indépendante. À cette occasion, le patron Larry Culp a énoncé des prévisions radieuses, notamment en matière de bénéfice opérationnel, censé bondir de 6 à 10 milliards de dollars, entre 2024 et 2028.

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Une bonne santé qui s’explique, bien sûr, par la demande toujours plus forte pour les avions de ligne, comme chez Airbus, qui prévoit que sa flotte mondiale passera de 22 880 avions en 2020 à 46 560 en 2042. « Le défi de l’industrie aéronautique aujourd’hui, c’est la montée en cadence de la production », indique Arnaud Aymé, expert du secteur chez Sia Partners. Du fait de ces carnets de commandes bien remplis, les délais d’attente se comptent désormais en années. « Un nouvel avion monocouloir commandé aujourd’hui ne sera pas livré avant 2030 », estime ainsi Larry Culp.

Victime collatérale de la crise chez Boeing

Si les usines ne devraient pas manquer de travail, reste une ombre au tableau : les incidents à répétition chez Boeing, client incontournable de General Electric. Depuis les crashes de deux 737 Max, en 2018 et 2019, qui avaient révélé les failles de ses procédures de sécurité, l'avionneur américain est empêtré dans une grave crise industrielle. En janvier dernier, la FAA a même ordonné l’immobilisation temporaire de 171 avions 737 Max 9, après qu’une porte s’est détachée en plein vol.

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Chez GE, qui fabrique le moteur de ce modèle en partenariat avec Safran, on veut minimiser l’impact de ces mesures sur le rythme des livraisons. « Mais la crise chez Boeing a un effet direct sur ces équipementiers. Ils ont déjà demandé à leurs sous-traitants de ralentir leurs cadences », signale un connaisseur du secteur.

Plus grave, l’immobilisation de la flotte pourrait pénaliser les services d’après-vente de GE, qui pèsent 70 % de son chiffre d’affaires dans l’aviation civile. « Ce qui compte chez les motoristes, ce ne sont pas les ventes de moteurs, qui s’accompagnent de réductions très importantes sur le prix catalogue. Ce sont les ventes de pièces de rechange qui leur font gagner de l’argent, grâce aux accords de maintenance », souligne Marwan Lahoud, expert du secteur chez Messier & Associés.

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Face au flygskam, GE prône l'innovation

En attendant un éventuel retour à la normale, GE et son allié Safran planchent sur un autre défi : celui de décarboner le transport aérien, qui pèse 2 % des émissions mondiales de CO2, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Certes, le fameux « flygskam » est encore minoritaire chez les passagers. « Cette honte de prendre l’avion n’a pas d’impact sur le trafic aérien mondial », confirme Arnaud Aymé. Cela n’empêche pas le couple franco-américain d’afficher ses ambitions climatiques.

Alors que son best-seller, le moteur Leap, permettait d’économiser 15 % de carburant par rapport à la génération précédente, ils étudient un nouveau prototype, le Rise, capable de gagner 20 % d’efficacité supplémentaire. À la différence des turboréacteurs traditionnels, ce modèle fonctionnera sans carénage, et laissera à l’air libre l’hélice de la soufflante. Une telle architecture permettrait non seulement de diminuer le poids du moteur, mais également d’en augmenter la puissance, en faisant rentrer plus d’air dans le propulseur.

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Ce réacteur pourrait aussi transformer la silhouette des avions monocouloirs, qu’il devrait équiper dès 2035 : avec son hélice de quatre mètres de diamètre, il serait deux fois plus grand que les turboréacteurs actuels. « C'est notre étoile polaire. C'est ce dont nos clients ont besoin et ce dont l'industrie a besoin, compte tenu des exigences de durabilité », défend Mohamed Ali, l’ingénieur en chef de GE Aerospace.

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