Bientôt la fin de la quatrième pour Théo. Si le jeune homme n’a jamais accroché avec les matières classiques comme les maths ou le français, il vient de se découvrir une passion en même temps qu’un héros avec Valentin Raffali, un jeune chef cuistot candidat à l'émission «Top Chef», dont la saison 15 se poursuit ce mercredi 24 avril sur M6 avec l'épreuve de «la guerre des restos». Pendant longtemps, les formations en cuisine faisaient office de repoussoirs scolaires. C’est fini. Nombre d’ados s’imaginent aujourd’hui des destins fulgurants dans les plus grands établissements étoilés. «Les formations à la restauration ont bénéficié d’un engouement particulier à partir des années 2010, avec l’apparition d’émissions comme “Top Chef” et “MasterChef”, qui ont fait sortir le chef de sa caverne», constate Michel Lugnier, inspecteur général responsable des formations de cuisine à l’Education nationale. Et les plus jeunes ne sont pas les seuls à avoir été séduits. Après quinze ans de consulting et dix comme DRH, soldés par un burn-out, Frédérique Triquet a donné libre cours à «une envie d’ado de travailler dans l’hôtellerie et la restauration». «Les personnes en reconversion représentent un nouveau vivier d’élèves, confirme Elise Masurel, directrice générale de l’Ecole Ducasse, qui a vu leur nombre bondir de 288% entre 2020 et 2022. Depuis la crise sanitaire, nombre de personnes se réorientent vers des métiers de passion».

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Théo et Frédérique, deux profils différents, une même problématique : le casse-tête du choix de la formation. Il suffit de googliser «meilleure formation en cuisine» pour voir défiler les institutions centenaires comme Ferrandi, des établissements créés par de grands chefs multi-étoilés comme l’Ecole Ducasse et l’Institut Lyfe (ex-Institut Paul Bocuse), ou encore des formations plus récentes, telles que L’Atelier des chefs, d’abord axé sur les cours pour le grand public, qui s’est diversifié dans la formation professionnelle, ou encore Academee, parrainée par le chef Philippe Etchebest. Pas trace, en revanche, dans le top des résultats de Google, du lycée professionnel Hélène Boucher, à Vénissieux (Rhône), où le chef étoilé Davy Tissot, Bocuse d’or 2021 et Meilleur Ouvrier de France 2004, a pourtant fait ses classes. Une «discrétion» qui s’explique par un budget de communication sans commune mesure avec ceux des «grosses machines», pointe Christophe Joublin, président de l’Association française des lycées d’hôtellerie et de tourisme (Aflyht). «Les écoles privées ne se privent pas de faire de la pub : plus on assure qu’on fait de la qualité, plus ça entre dans la tête des gens», renchérit Kilien Stengel, chercheur en sciences de la communication spécialiste du discours culinaire. Basique, mais efficace.

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Des coûts de formation très divers

La plupart des grandes écoles de cuisine jouent la carte de l’ultrasélectivité, gage selon elles du sérieux de leurs parcours. «Sur 600 candidatures, nous n’en retenons que 200 à 250», indique ainsi Dominique Giraudier, à la tête de Lyfe. Au contraire, «la philosophie des lycées hôteliers est de permettre à une multitude d’élèves, que nous n’avons pas forcément choisis, de donner le meilleur d’eux-mêmes», rétorque Christophe Joublin. Qui met un point d’honneur à souligner «la gratuité de toutes les formations» dispensées en lycée hôtelier, du CAP au BTS en passant par le bac pro. Mais rien n’est jamais tout blanc ou tout noir. Sur les 2 700 élèves que la prestigieuse école Ferrandi accueille chaque année en formation initiale, «1 600 ne paient rien car ils sont en apprentissage», réplique son directeur général, Richard Ginioux. Pour les bachelors, des cursus en trois ans après le bac, il faut en revanche aligner quelque 15 000 euros par an. Idem à l'Ecole Ducasse et à l’Institut Lyfe, dont le DG, Dominique Giraudier, tient à souligner que ses étudiants se voient proposer «quatre à cinq emplois» une fois diplômés. Sans oublier que «15% de nos étudiants bénéficient des bourses du Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires), qui peuvent être complétées par une aide de la Fondation Institut Lyfe», soutenue par des entreprises comme Accor et Valrhona.

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Frédérique Triquet, l’ex-DRH qui voulait réaliser son rêve d’ado, a, elle, investi «10 000 à 12 000 euros» dans un programme de reconversion intensif de deux mois à l’Ecole Ducasse. De sa poche, car «j’avais un salaire de cadre sup, mais beaucoup de mes copains de promo ont fait financer leur formation par France Travail et d'autres dispositifs», précise-t-elle. Une formation en présentiel «forcément plus technique et qualitative» que la préparation en ligne au CAP qu’elle avait suivie quelques mois plus tôt au Centre européen de formation (CEF), souligne la désormais propriétaire de deux restaurants à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Le Centre européen de formation, Murielle Lacordaire aussi connaît : «ils m’ont démarchée lorsque je cherchais une formation», se souvient cette ancienne travailleuse dans le social reconvertie en traiteur. Elle a finalement jeté son dévolu sur L’Atelier des chefs (lire l’encadré), car «une connaissance m’avait dit que c’était fiable». Sa formation à distance de huit mois à L’Atelier pour passer le CAP de cuisine, Murielle l’a payée 3 000 euros. Une somme «raisonnable» et, qui plus est, intégralement financée par son CPF (compte personnel de formation).

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Choisir une formation, c’est aussi choisir une certaine idée de la cuisine

Ce sont justement la simplification de l’utilisation du CPF et l’ouverture, par les entreprises, de centres de formation des apprentis, permises par la loi Avenir professionnel de 2018, qui «ont entraîné une explosion du nombre de centres, dont beaucoup proposent de passer le CAP à la maison. Le problème, c’est que le cœur de la formation à la cuisine, c’est justement d’être guidé “en vrai” par un professionnel!», grince Christophe Joublin, président de l’Aflyht. «Heureusement que des formations 100% en ligne existent, je n’aurais pas pu faire autrement, avec deux enfants», nuance Murielle Larcordaire. Tout en reconnaissant «ne pas être que contente» de sa formation: «C’était frustrant, car j’étais corrigée sur la base de photos de mes plats et les corrections n’étaient pas faites en direct mais enregistrées». Corriger un plat sans le goûter… voilà qui laisse songeur.

«Moi, je ne voulais pas de formation à distance, je voulais de la qualité», lâche sans ambages Richard, la cinquantaine. En reconversion lui aussi, il ne voulait pour autant pas de Ferrandi et consorts, «trop tradis, avec le chef qui nous aboie dessus». Direction La Source, une école de cuisine née en 2019 à Pantin (Seine-Saint-Denis), où les 6600 euros annuels peuvent être financés par des dispositifs comme le CPF, et dont Richard loue «le style détendu, la place accordée au végétarisme…». Au-delà du prix, choisir une formation, c’est aussi choisir une certaine idée de la cuisine.

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Difficile de faire son beurre avec les cours pour les particuliers

Votre collègue du marketing, réputé fin gourmet, quitte la boîte? Son cadeau de départ est tout trouvé: un cours de cuisine. Ce marché, a priori alléchant dans une France de gastronomes, certains en sont néanmoins revenus. L’Atelier des chefs, qui avait investi le créneau dès 2004, ne compte plus que neuf centres, en région parisienne, à Lyon, Lille, Toulouse, Arras. «Cela reste un marché plutôt citadin», confirme Elise Masurel, DG de l’Ecole Ducasse, présente depuis 2009 sur ce segment via Paris Studio, avec un premier prix à 99 euros la demi-journée.

Ritz Escoffier, Lenôtre… Le tour des popotes est d’ailleurs vite fait. «Avec un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros, nous sommes ultraleaders sur un marché qui doit peser 12 à 13 millions», assure Nicolas Bergerault, cofondateur de L’Atelier des chefs, qui propose des cours de trente minutes, à 19 euros, pour les plus pressés. Le dirigeant cite également la concurrence de grands chefs sur les réseaux sociaux, à l’image de Juan Arbelaez et de ses baklavas réalisés en live sur «Insta». Dès 2017, à l’aube de la loi Avenir professionnel qui a simplifié l’utilisation du CPF, L’Atelier des chefs s’est donc diversifié dans la formation professionnelle. Aux côtés des différents cursus culinaires, on trouve désormais des CAP fleuriste, menuisier, électricien…