L’Europe du spatial prépare son grand retour. Privé de lanceur lourd depuis la dernière mission d’Ariane 5 en juillet 2023, le Vieux Continent va bientôt tenter de restaurer son accès autonome à l’orbite terrestre. Et ce, grâce au tout premier vol d’Ariane 6, programmé en juin ou juillet. Après avoir accumulé quatre années de retard, la fusée européenne prend forme au Centre spatial guyanais (CSG). Ce mercredi 24 avril, les équipes du site ont procédé à la «verticalisation» du corps central de la fusée sur son pas de tir. Une étape franchie avec soulagement par les protagonistes du chantier.

« C’est assez grisant. C’est le début de l’histoire d’Ariane 6 sur le sol guyanais », s’enthousiasme Thierry Vallée, directeur de la protection et de la sauvegarde des installations du CSG au Centre national d’études spatiales (Cnes). Initié en 2014, le programme Ariane 6 arrive dans sa dernière ligne droite avant le décollage. Franck Huiban, directeur des programmes civils chez ArianeGroup (maître d’œuvre d’Ariane 6), ne boude pas son plaisir. «C’est la récompense de nos efforts de développement qui ont été si longs et si difficiles à expliquer. Mais comme nous avons tout déminé en avance, quand on passe à l’action, cela se passe plutôt bien», fait valoir le directeur.

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L’art délicat d’ériger des fusées

Les ingénieurs du spatial aiment les euphémismes. Quand ils parlent de «verticalisation», il s’agit en fait d’ériger une structure monumentale. À lui seul, le corps central de la fusée s’élève sur 42 mètres et pèse environ 38 tonnes à vide. Pour simplifier les lancements, cet élément (qui comporte l’étage principal de la fusée et son étage supérieur) est assemblé à l’horizontale. Il faut ensuite le redresser avant le décollage. Tout doucement, des véhicules acheminent ce colosse allongé vers la zone de lancement. Ensuite, le corps central est positionné à la verticale grâce à un instrument de levage.

Le corps central de la fusée Ariane 6 en cours de verticalisation sur le pas de tir. ESA-CNES-ArianeGroup-Arianespace-Service Optique du CSG
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Ces manœuvres ont duré plusieurs heures pour le tout premier modèle de vol d’Ariane 6. Mieux vaut être prudent. Même si le corps central n’est pas encore rempli de carburants, il comporte tout de même des éléments pyrotechniques. «C’est une procédure délicate. Il faut avoir une bonne coordination entre les différentes machines pour gérer la distribution du poids», souligne Pier Domenico Resta, responsable du système de lancement et de l’ingénierie d’Ariane 6 à l'Agence spatiale européenne (ESA). Prochaines étapes sur la zone de lancement : installer les deux boosters de chaque côté de la fusée et, bien entendu, la coiffe à son sommet, où sont positionnés les satellites qu’Ariane 6 lancera dans l’orbite terrestre.

La réponse de l’Europe à SpaceX

Pour cette mission inaugurale, la campagne de lancement s’étale sur plusieurs mois. Mais à terme, les équipes du programme espèrent qu’elles pourront tirer deux fusées Ariane 6 à seulement 15 jours d’écart. « Notre système industriel a été conçu pour aller jusqu’à 12 lancements par an », chiffre Franck Huiban, directeur des programmes civils chez ArianeGroup, le maître d’œuvre d’Ariane 6. Dans l’usine d’ArianeGroup aux Mureaux (Yvelines), où est fabriqué l’étage principal de la fusée, on prépare déjà la suite du vol inaugural. «Nous avons des éléments du cinquième modèle de vol d’Ariane 6», indique Franck Huiban.

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Économies d’énergie, assemblage en série des fusées, campagnes de lancement plus courtes… Grâce à tous ces efforts, Ariane 6 doit atteindre des coûts de production 40 % moins élevés qu’Ariane 5. Des efforts censés permettre à l'Europe du spatial de tenir tête à SpaceX et à ses fusées réutilisables. «Il faut absolument qu’Ariane 6 puisse voler au plus vite. Pour montrer au monde entier que l’Europe est toujours présente», encourage Raymond Boyce, directeur des opérations au Cnes. C’est lui qui récitera le compte à rebours final avant le décollage d’Ariane 6.

Le jour du décollage, l'immense portique mobile se déplacera pour découvrir la fusée. ESA-CNES-ArianeGroup-Arianespace-Service Optique du CSG
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Si l’étape de la verticalisation est bien maîtrisée, les statistiques sur les premiers vols des lanceurs lourds peuvent donner des sueurs froides. «Depuis le début du transport spatial, il y a environ une chance sur deux que tous les objectifs du premier vol ne soient pas atteints», rappelle Franck Huiban. Mais un échec ne se solde pas forcément par une explosion de la fusée. De façon moins spectaculaire, il peut s’agir d’une simple anomalie lors de la mission. «C’est un risque que nous acceptons. Le premier vol d’Ariane 6 sera aussi un vol de démonstration. Il va nous permettre de faire des tests que nous n’avons pas pu réaliser au sol», argumente Franck Huiban. Rendez-vous cet été pour connaître le sort du premier modèle d’Ariane 6.