Dans les deux premières parties, vous avez d'abord vu comment le champion olympique a soigneusement planifié sa reconversion dans le mouvement sportif, puis comment il s'est imposé auprès des décideurs politiques, s'entourant de deux fidèles, Etienne Thobois et Michaël Aloïsio, pour exercer le pouvoir en trio.

Dans cette dernière partie, vous saurez tout ses talents de négociateurs auprès des PDG du CAC 40 qui sont nombreux à chercher à le convaincre de les rejoindre après les Jeux. Enfin, vous verrez comment il se défend sur la polémique durable de son salaire.

5. C’est lui le patron

Obsédé par la réussite des Jeux, le président du Cojop a dû apprendre aussi à manœuvrer avec les potentiels sponsors. «Le premier gros contrat avec BPCE, c’est Tony qui l’a réglé seul. La banque l’a appelé, il a monté le rendez-vous et il l’a signé», relate François-Xavier Bonnaillie, directeur des partenariats. «Ces gens du Cojop étaient d’une arrogance folle, retient le dirigeant d’une grande entreprise. Premier arrivé, premier signé, c’était la règle. Mais ils ont corrigé le tir.» Par deux fois, Estanguet rattrape la situation.

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Le responsable des partenariats chez Carrefour n’est pas partant. Tony fonce chez Alexandre Bompard, son PDG, et le retourne. Il en ressort avec un contrat. Le patron de Saint-Gobain aussi fait les frais de sa force de persuasion: «J’aime ce que vous faites, mais je viens d’annoncer à toutes mes filiales qu’on arrête le sponsoring sportif», prévient Benoit Bazin, qui l’a reçu sur intervention gouvernementale. La réplique fuse: «Ce n’est pas du sponsoring, c’est montrer votre savoir-faire à la planète.» Puis Tony enchaîne sur le sens de la participation du privé et un historique lyrique des JO. Bazin craque.

Tony Estanguet présentait les médailles des JO en compagnie d'Antoine Arnault (LVMH) le 8 février 2024 à Saint-Denis Sophie Brandstrom/Signatures
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Rien ne doit enrayer la belle mécanique que Tony Estanguet a en tête, comme lorsqu’il anticipait chaque millimètre de ses courses en canoë. Il faut rêver plus fort que soi, dit-il. «Ma descente à Londres en 2012 n’était pas aussi parfaite que l’idéal que j’avais en tête!» Idem pour la préparation de Paris 2024: «Pour être très fort, pour être très haut, il faut être très ambitieux.» Quitte à se fouetter: «Ah, je n’ai pas été bon!» Quitte à demander l’impossible à ses collaborateurs: «Ce n’est pas toujours facile de le satisfaire», souffle l’un d’eux. «Il est bienveillant et bien élevé, mais c’est une barre de fer», s’exclame Thierry Reboul. Quitte aussi à ne pas tenir ses promesses: adieu la gratuité des transports pour les détenteurs de billets JO… «Il faut parfois se mettre au défi de faire des choses qu’on n’a jamais faites», insiste l’audacieux.

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Parle-t-il de la France, du CIO ou de lui-même? «Après, ce n’est pas grave s’il faut en rabattre. La cérémonie d’ouverture est un bon exemple. Si elle avait eu lieu au Stade de France comme prévu au départ, c’était 60000 places payantes au prix des 100000 qu’on vend actuellement sur la Seine. On aura en prime pour la première fois de l’histoire plus de 200000 places gratuites, c’est top! Alors, oui, on a dû réduire la jauge de moitié pour des raisons de sécurité. Mais c’est mieux que d’habitude!»

Cette cérémonie inédite, c’est une idée de Thierry Reboul, ce créatif imaginatif qu’Estanguet a convaincu de vendre son entreprise Ubi Bene pour venir travailler avec lui: «Tu vas voir, on va s’éclater!» La demande du champion était simple: «Trouve-moi des idées pour que cette olympiade ne ressemble à aucune autre.» Toujours cette soif vitale de se singulariser, de ne pas copier ses aînés. Alors, le Cojop innove. Un marathon ouvert à 40000 amateurs, sur un circuit parisien balisé de monuments historiques. Une nouvelle discipline, la breakdance. De nouvelles épreuves en voile, en boxe et, tiens, en canoë. Autant de femmes que d’hommes chez les athlètes. «Il ne laisse pas passer une bonne idée, il l’attrape», raconte son amie Fany Péchiodat, créatrice du site d’e-commerce My Little Paris, qui, aux débuts d’Estanguet au Cojop, l’a aidé à faire son trou.

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L’idée, ensuite, il la soupèse, la teste, la passe au crible de 1000 questions. «Si vous revenez trois semaines après sans la réponse, lui n’a pas oublié la question», assure Reboul. Cet homme secret «ne se laisse pas emmener là où il ne veut pas», renchérit Mercedes Erra. Une fois la décision prise, tous ses proches le disent, «il ne lâche rien». Jamais.

Derrière sont style décontracté, Tony Estanguet séduit les grands patrons comme Sébastien Bazin (Accor) qui lui a proposé de le rejoindre après les Jeux Capital / Sophie Brandstrom
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Lorsque les critiques pleuvent et que le Parquet national financier (PNF) lance six enquêtes contre l’état-major de Paris 2024, Tony Estanguet affecte le sang-froid. Cinq procédures pour favoritisme visent ses proches collaborateurs qui, pour se consacrer aux JO, ont en principe revendu leurs entreprises Or, certaines ont signé de gros contrats avec Paris 2024. Thierry Reboul est l’un d’eux: «Pour la première fois, réplique-t-il, ce sont cinq boîtes françaises qui ont organisé les cérémonies, et je me suis déporté pour la décision.» Estanguet lui-même est ciblé sur le montant de sa rémunération (lire le Zoom plus bas). «270000 euros annuels en honoraires alors que Sebastian Coe, son homologue à Londres, touchait un salaire trois fois plus élevé, c’est une accusation ridicule», s’emporte l’un de ses anciens mentors. Son premier contrat d’image de champion olympique s’est négocié à moins de 10000 euros par an. Quand il a fondé sa petite société Perf.ETC en novembre 2004, il recevait 60000 euros par an de la Lyonnaise des eaux, 7200 d’Arkema et 7000 de Roche. Au moment de prendre ses fonctions à Paris 2024, il avait 1,2 million d'euros en caisse.

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«Ça fait partie du job de patron de prendre des balles pas toujours très justes, souffle Tony Estanguet. Mais je resigne tout de suite. Nos infrastructures sont dans les temps, le budget est à 96% financé par l’argent privé. On a un événement énorme à livrer: 868 compétitions, 54 sports, 15000 athlètes, 2000 prestataires, 77 partenaires économiques, sans compter les acteurs publics, les fédérations nationales et internationales, les médias, c’est vertigineux!» Dans son livre publié en 2012, «Une histoire d’équilibre» (Outdoor Editions), il confesse: «Il paraît que je suis ISTP, introverti/sensitif/réfléchi/perceptif.» En 2024, il se veut surtout positif: «Quand je me lève le matin, c’est bon de sentir l’adrénaline.» Il en aura besoin.

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ZOOM: son salaire, une polémique qui dure

«Je suis ciblé, critiqué, attaqué. Ce n’est pas agréable, mais ce n’est pas ça qui me fera dévier», confie Tony Estanguet quand il reçoit Capital dans son bureau au printemps. Alors que le champion de canoë slalome entre les polémiques, le sujet de sa rémunération provoque des remous secouant son embarcation. Déjà bousculé en 2017 par un article du «Canard enchaîné» dans lequel l'hebdomadaire avançait un montant (erroné) de 450000 euros annuels, l’ancien champion a appris en février qu’il était visé par une enquête du Parquet national financier (PNF) pour le montage mis en place pour le payer. Paris 2024 étant une association de type loi 1901, la rémunération mensuelle de ses dirigeants est plafonnée (autour de 10000 euros par an). Mais l’organisation n’ayant pas de gestion désintéressée au sens fiscal du terme (billetterie, sponsoring), elle ne peut être considérée comme non lucrative. C’est pourquoi, «après consultation de l’Urssaf» selon les organisateurs des JO, un système de facturation a été mis en place, ce qui permet à Tony Estanguet de toucher près de 300000 euros par an, prime comprise. S’il termine son mandat, il aura droit à un bonus de 10% des salaires versés, hors part variable, comme tous les autres collaborateurs de cette entreprise éphémère de 4500 salariés. La masse salariale de Paris 2024 devrait ainsi tourner au-delà des 500 millions d’euros. «Ce n’est pas Tony qui a défini son salaire, rétorque le directeur général délégué de Paris 2024, Michaël Aloïsio. Il s’est rangé aux recommandations du comité des rémunérations (Corem, NDLR).»

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Dans ce comité, présidé par Jean-Paul Bailly (ex-PDG de la RATP et de La Poste), siègent un contrôleur général du ministère des Finances, Philippe Kearney, une représentante de la mairie de Paris, Ivoa Alavoine, des élus de l’Assemblée nationale et du Sénat et des personnalités du monde des affaires, spécialistes des RH. Ils ont fixé la grille des salaires pour l’ensemble des fonctions de Paris 2024, dont celle du président. «Cette rémunération a été décidée et validée par le premier conseil d’administration du comité d’organisation le 2 mars 2018, qui a statué en son absence, de façon souveraine et indépendante, sur proposition du comité des rémunérations», rappellent les organisateurs. Seulement, alors que ces spécialistes issus de groupes comme Booking.com, Valeo, Richemont ou Egon Zehnder ont élaboré la grille en fonction des prix du marché, se basant sur des références dignes du CAC 40, les garde-fous publics ont-ils été assez vigilants?

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Interrogée par Capital, une personnalité du fameux Corem était ainsi bien incapable de donner le salaire réel de Tony Estanguet. «On nous passe des documents et on valide dans la globalité sans plus d’explications», reconnaît un membre. A tel point que, le 6 février 2024, jour de la perquisition du PNF au siège de Paris 2024, un courriel spécifique, que Capital a pu consulter, a même été envoyé aux membres du Corem. «N’ayant pu être affilié au régime général des travailleurs salariés, Tony Estanguet a été affilié, après accord du contrôleur général économique et financier et validation du comité des rémunérations, au régime des bénéfices non commerciaux (BNC)», y rappelle Paris 2024. En clair, pas la peine de se plaindre, vous aviez toutes les informations sur le sujet. Et ce, depuis 2018…